La région Asie-Pacifique (APAC) représente la plus grande part de ce marché florissant, avec la Malaisie et l’Indonésie en tête du peloton. Bien que la Malaisie soit un pays relativement petit, avec 32,7 millions de ressortissants en 2021 (dont plus de 60 % s’identifient comme musulmans), son économie est bien développée et le marché malaisien de la beauté halal est l’un des principaux marchés de la région ASEAN. L’Indonésie, en revanche, est le plus grand pays à majorité musulmane du monde avec une population de plus de 275 millions d’habitants, dont 87% de musulmans. Dans les deux pays, la taille du marché de la beauté halal a fortement augmenté ces dernières années.
Les jeunes marques à l’assaut du marché indonésien de la beauté
Selon Sancoyo Antarikso, président de Perkosmi, l’association indonésienne des cosmétiques : « L’Indonésie est le plus grand marché de produits halal au monde. Les dépenses des consommateurs ont atteint 184 milliards de dollars US en 2020, dont 4,19 milliards de dollars pour les cosmétiques et produits de toilette (C&T) ». En comparaison, le marché indonésien global des C&T pèse environ 6,34 milliards de dollars et au cours des cinq prochaines années, la part des cosmétiques certifiés halal devrait dépasser celle de la beauté non halal.
« Si, en Indonésie, les certifications halal de cosmétiques sont encore à la traîne par rapport aux produits alimentaires, elles n’ont cessé d’augmenter au cours des dernières années. En 2017, seules 64 entreprises de cosmétiques avaient une certification halal. Ce nombre est passé à 129 entreprises en 2018, 162 entreprises en 2019 et 214 entreprises en 2020, à la fois des acteurs indonésiens et étrangers », ajoute Muti Arintawati, président directeur de l’Institut indonésien d’évaluation des aliments, des médicaments et des cosmétiques Majelis Ulama Indonesia LPPOM MUI.
L’une des raisons de cette évolution est la législation indonésienne sur les produits halal, qui s’applique aux cosmétiques, aux aliments, aux produits non alimentaires et aux services, et qui est entrée en vigueur en 2019. En vertu de cet ensemble de réglementations, tous les produits de beauté étrangers distribués ou vendus au détail en Indonésie seront traités comme non halal à moins qu’ils n’aient été certifiés en Indonésie ou par un organisme de certification étranger accrédité. Alors que les marques de cosmétiques ont jusqu’en 2026 pour mettre pleinement en œuvre cette loi, les marques de beauté halal nationales et régionales ont depuis longtemps entamé ce processus.
Les marques halal établies en Indonésie, comme la pionnière Wardah, qui a été fondée en 1995 et dispose d’une forte distribution dans toute la zone ASEAN, ont joué un rôle déterminant dans le développement du marché national de la beauté halal. Lorsque Wardah a fait ses débuts, il y avait peu de marques certifiées halal et un nombre encore plus réduit de consommateurs comprenait ce que cela signifiait. Au cours des 20 dernières années, cependant, le « style de vie hijab » a fortement progressé en Indonésie. Et les jeunes consommateurs halal d’aujourd’hui ne recherchent plus seulement une certification religieuse.
Prita Anindya Laksmita, Beauty Sector Manager chez Kantar Worldpanel Division, explique : « Si l’on considère les moteurs de la croissance aujourd’hui, le marché n’est pas tiré par le logo halal en soi. Les consommateurs recherchent désormais également des bénéfices plus sophistiqués tels que l’éclaircissement ou l’anti-âge, de sorte que les marques de beauté halal modernes sélectionnent les ingrédients clés d’un produit plutôt que de se concentrer exclusivement sur le label halal ».
Et en effet, ces dernières années, une multitude de jeunes marques cosmétiques locales animent le marché indonésien des cosmétiques et des articles de toilette halal. Alors qu’il y a 15 ans, les marques halal avaient tendance à adopter une allure posée et un peu conservatrice, la nouvelle génération de marques de beauté fondées par des femmes joue dans une autre division : elles séduisent une clientèle digital native avec des produits engageants et des emballages ultra-élégants. Bon nombre de ces nouveaux lancements sont des marques de maquillage qui stimulent en fait l’ensemble du marché indonésien des cosmétiques de couleur : selon GlobalData, le marché local du maquillage devrait croître à un TCAC de 5,7% entre 2020 et 2025 [3], tiré par le maquillage certifié halal.
BLP Beauty, lancée par la blogueuse beauté Lizzie Parra en 2016, compte parmi les principales marques et propose une gamme de teintes inclusives pour les nombreuses carnations des indonésiennes. Les produits sont légers et confortables à porter dans le climat chaud et humide du pays. La marque Luxcrime cible, elle aussi, la GenZ avec des emballages élégants, tout comme Rosé All Day lancée en 2017, qui propose des soins pour la peau et du maquillage. La marque de maquillage Esqa, lancée en 2016, est à la fois halal et végane, tandis que Mad s’adresse également aux GenZ et Millennials. La marque de soins du visage Base, quant à elle, propose des soins personnalisés : les utilisateurs remplissent un questionnaire en ligne et la marque sélectionne ensuite les produits adaptés et les expédie directement au client.
Le savoir-faire en cosmétique halal made in Malaysia
En matière de beauté halal, la Malaisie fait presque jeu égal avec son voisin. Malgré une population relativement petite, la Malaisie est la quatrième économie d’Asie du sud-est. Elle fait également partie des cinq premiers marchés musulmans dans le monde. JAKIM, l’autorité halal du pays, est l’un des plus grands organismes de certification de la région et au cours de la dernière décennie, le gouvernement malaisien a mis en œuvre diverses initiatives pour développer et promouvoir l’écosystème de production halal du pays, faisant de la Malaisie l’un des pays clés en matière de sous-traitance et de fabrication à façon.
Selon Alvin Yim du Malaysian Cosmetics & Toiletries Industry Group, le syndicat professionnel du pays, les exportations de produits halal de la Malaisie se sont élevées à 7,25 milliards de dollars US en 2020, dont 0,64 milliard USD (8,7%) pour les produits cosmétiques et de toilette. Le principal marché d’exportation des cosmétiques halal malaisiens est (de très loin) Singapour, suivi de la Turquie, des Émirats arabes unis, des Philippines et du Japon.
Le chiffre de 2020 a toutefois été affecté par la pandémie, explique Alvin Yim, car le chiffre d’affaires des exportations de cosmétiques a fortement augmenté jusque-là, passant de 0,52 milliard de dollars en 2016 à 0,71 milliards en 2019. Il s’attend donc à ce que les exportations rebondissent et se développent davantage dans la période post-pandémie. Et la demande est là !
À l’instar de l’Indonésie, le marché malaisien de la beauté halal est actuellement animé par de nombreuses jeunes marques de maquillage et de soins apparues au cours des cinq dernières années. Ces marques appartiennent principalement à des femmes, sont fabriquées localement et ciblent directement les attentes des jeunes femmes urbaines.
Lancée en 2016, So.Lek est un bon exemple de ces nouvelles marques. Les fondateurs Dahlia Nadirah et Luqman Hakim voulaient créer une marque de maquillage abordable célébrant la culture et les traditions malaisiennes plutôt que de lui donner l’habituelle apparence d’une marque internationale ou anglicisée. Les produits et les teintes de la gamme de maquillage de So.Lek sont nommés en Bahasa Malaysia plutôt qu’en anglais et le nom de la marque lui-même est basé sur le mot malaisien signifiant maquillage.
Également lancée en 2016, Nita Cosmetica a une philosophie de marque similaire. La fondatrice Aznita Azman voulait que sa marque de maquillage représente la culture et les valeurs malaisiennes à travers des emballages et des noms de produits. Sa marque propose des couleurs accessibles et abordables pour différentes carnations.
dUCk Cosmetics est une extension de la marque de hijab dUCk, qui a été lancée par la créatrice de mode Valet Vivy Yusof en 2014. Après avoir étendu son univers aux sacs, puis aux accessoires et à la maison, elle a lancé sa gamme de cosmétiques halals en 2017. Il s’agissait alors de la première marque de beauté malaisienne vendue dans le très prestigieux centre commercial Pavilion de Kuala Lumpur.
La marque Oh Most Wanted Cosmeceuticals, lancée en 2018 par l’actrice malaisienne Nora Danish, cible les millennials avec du maquillage offrant des bénéfices pour la peau, tandis qu’Irisa Cosmetics, fondée la même année par Iman et Irisa, un frère et sa sœur, propose du maquillage pour les lèvres, les yeux et les sourcils.
Velvet Vanity, dont la fondatrice avait 24 ans lorsqu’elle a lancé sa marque en 2016, commercialise du maquillage entièrement vegan et halal. Parmi les autres marques locales de maquillage notons aussi les marques de rouge à lèvres Marcella & Co, Orkid Cosmetics et Pretty Suci. En 2017, les deux fondateurs de Pretty Suci ont lancé la première boutique en ligne dédiée à la beauté halal en Malaisie.
À toute vapeur
Les perspectives du marché de la beauté halal dans la région APAC sont très prometteuses. Selon Mulyorini R. Hilwan, Advisor of Halal Audit Services au sein de LPPOM-MUI, la région devrait compter 1,5 milliard de musulmans d’ici 2050 et Alvin Yim estime que d’ici 2027, la zone APAC représentera la part la plus élevée de la croissance à deux chiffres du marché des cosmétiques halal, qui devrait atteindre 104 milliards de dollars d’ici 2027. Avec une telle quantité de jeunes marques locales, le marché de la beauté halal de l’ASEAN est plus attrayant que jamais.
Il est intéressant de noter que la beauté halal séduit également les populations non-musulmanes de la région APAC, qui voient dans la certification halal un gage de qualité rassurant dans leur quête de cosmétiques sûrs et cruelty-free. « Le halal est devenu un label de qualité populaire », confirme Prita Anindya Laksmita de Kantar Worldpanel confirme.
La sécurité des ingrédients étant une préoccupation majeure pour de nombreux consommateurs de l’ASEAN, cette situation devrait assurer l’avenir du marché de la beauté halal.
Qu’est-ce que la beauté halal ? Fabriqués selon les règles de la charia islamique, les cosmétiques halal ne doivent pas contenir d’ingrédients haram (interdits) par l’Islam (alcool, OGM, composants issus du corps humain, d’animaux interdits par la charia comme les porcs, ou d’animaux abattus de manière non halal). Les cosmétiques ne peuvent pas être fabriqués dans une installation qui manipule également des produits non halal (ceci s’applique également au stockage, à l’emballage, à la présentation et à l’expédition des produits) ou traités avec des machines et des équipements non halal. Bien que cela puisse sembler théoriquement assez simple, les choses se compliquent vite en matière de cosmétique. Ceux-ci contiennent souvent plus de 20 ingrédients, dont des actifs et des composés provenant de différentes sociétés et de différentes régions. Dans le cadre d’une certification halal, l’origine de chaque ingrédient cosmétique doit être manifestement exempte de composants non halal. Par exemple, les actifs cosmétiques ne peuvent pas contenir de dérivés de placenta, d’albumine ou de kératine issus de l’homme ou d’animaux mal abattus, tandis que les milieux de culture et les additifs utilisés dans la fabrication d’autres ingrédients tels que les enzymes, les protéines, les ferments ou encore les AHA doivent également être certifié halal, c’est-à-dire ne contenant ni composants non halal ni avoir été produit dans une installation non halal. Les produits tels que le maquillage, les écrans solaires ou les lotions pour le corps doivent également être perméables à l’eau pour permettre les lavages wudhu rituels, de sorte que les allégations water-proof et « résistants à l’eau » peuvent également être délicates. Puisqu’il n’y a pas d’autorité halal mondiale ou d’organisme de certification et que chaque pays musulman (ou à majorité musulmane) a ses propres réglementations halal (et certificateurs nationaux), une certification halal obtenue pour un marché régional particulier peut ne pas être reconnue dans un autre pays musulman. Cependant, les autorités de certification des plus grands marchés halal, tels que la Malaisie ou l’Indonésie, reconnaissent généralement certains certificateurs halal étrangers, bien que les produits devront toujours être officiellement enregistrés dans le pays cible. |