Comment est née la marque Karethic ?
Carole Tawema - Karethic est née en 2005 dans le cadre de mon mémoire de fin d’études sur les stratégies de développement du commerce international du karité pour l’Afrique. J’avais identifié le fait que le beurre de karité était similaire à l’huile d’olive mais qu’il n’avait pas été valorisé de la même manière. À l’époque on ne parlait du karité que sous la forme d’une matière grasse efficace pour les cheveux. Personne ne s’intéressait vraiment aux origines de cet ingrédient, au fait qu’il provenait d’un arbre sacré, puits de carbone, source d’alimentation pour les nouveau-nés pendant les périodes pluvieuses, précieux pour les femmes en zone rurale de dix-sept pays africains, comme pour la biodiversité et la lutte contre les effets du dérèglement climatique.
C’est en abordant le karité sous l’angle de l’impact écologique et social positif que nous avons compris, ma sœur et moi, que tout était à faire. Et l’action prioritaire était de faire connaitre le véritable beurre de karité d’Afrique auprès du grand public : le karité brut, que nous avons baptisé Karité Grand Cru. C’est l’huile végétale la plus riche en principes actifs réparateurs dès lors qu’elle n’est pas raffinée industriellement.
En quoi se distingue votre marque ?
Carole Tawema - Karethic est une marque pionnière en termes d’offre de produits de beauté à base de beurre de karité brut.
Ce qui était un projet associatif à l’origine est devenu une marque car, en 2005, aucune marque de beauté en France ne souhaitait proposer des cosmétiques avec ce karité brut. Les laboratoires expliquaient aux marques de beauté que le karité produit par les femmes africaines était de mauvaise qualité et devait être raffiné. Les précieuses vitamines du karité que les marques mettaient en avant auprès du consommateur étaient donc en réalité détruites par le raffinage.
Il a donc d’abord fallu prouver que du karité produit par les femmes africaines pouvait être de qualité supérieure à condition que le revenu de ces femmes soit supérieur et qu’elles travaillent dans des conditions dignes et saines. Cette qualité qui permet d’éviter l’étape de raffinage polluant offre la possibilité de formuler des cosmétiques d’efficacité supérieure avec peu d’ingrédients additionnels et souvent aucun conservateur car la plupart des actifs réparateurs et conservateurs naturels sont dans le karité brut. Notre but est d’amener toutes les marques de beauté à faire exactement comme nous en garantissant systématiquement un prix supérieur et juste pour les productrices de karité et non en se contentant de vendre du karité brut.
Le karité compte parmi les produits les plus populaires parmi les consommateurs de cosmétiques. Au regard de la diversité de l’offre, comment savoir s’il s’agit d’un produit qualitatif, responsable, et éthique ?
Carole Tawema - Les signes de qualité et de garantie sont les labels bio et équitables. Certaines marques expliquent qu’elles n’en ont pas parce que cela a un coût mais c’est faux, elles préfèrent privilégier leurs propres intérêts avant celui des productrices de karité. En 2022, garantir la qualité intrinsèque écologique et sociale d’un produit ne devrait plus être un choix basé sur l’intérêt privé. Garantir la qualité est obligatoire d’un point de vue règlementaire, apporter les preuves de ses allégations l’est aussi si l’on est réellement une marque responsable. Faire passer du karité raffiné pour l’authentique karité d’Afrique est purement et simplement une tromperie du consommateur.
La couleur du karité est aussi un indice. Un karité naturel, brut, de bonne qualité, n’est jamais blanc. Il a une couleur crème à jaune paille et un arôme de cacao, de vanille, de caramel ou d’anis en fonction du pays d’origine, de la pluviométrie, et de la nature du sol. Il y a de nombreux préjugés qui entourent le karité, comme le fait qu’il est exclusivement réservé aux peaux noires. Ce qui est faux. Quand on me demande si nos produits sont uniquement pour peaux noires, je réponds que le karité est pour toutes les personnes qui ont une peau et des cheveux à sauver. Donc l’humanité. Cela fait sourire et réfléchir mon interlocuteur.
Comment se passe la fabrication du beurre de karité ?
Carole Tawema - Le beurre de karité provient de la coque du fruit du karité. Cette coque contient une amande gorgée d’huile. Les productrices récoltent le fruit à partir du mois de juin, sélectionnent les meilleures amandes, les pressent au moulin, et obtiennent une pâte chocolatée qui sera barattée manuellement pour laisser monter la matière grasse qui sera lavée, filtrée, fondue et décantée. En refroidissant, l’huile se solidifie et devient le beurre de karité. Toutes ces étapes doivent être réalisées à basse température et avec des ustensiles en inox pour préserver au maximum les vitamines du karité et éviter toute trace de métaux lourds dans le beurre. Si ces critères ne sont pas respectés, le beurre de karité sera de mauvaise qualité, et devra être raffiné et blanchi. Un beurre de karité de bonne qualité ne nécessite pas de raffinage polluant.
Quels sont les engagements de votre marque sur ce point ?
Carole Tawema - Nous sommes pionniers sur cette offre de karité brut bio et équitable, et nous apportons le plus de garanties au consommateur avec des labels et une certification par un organisme indépendant depuis plus de 10 ans. Mais c’est assez logique et cohérent car nous avons commencé par l’étape de production de karité au nord du Bénin avec 700 femmes dans une zone reconnue ’réserve de Biosphère’ par l’UNESCO.
C’est pour améliorer les conditions de vie et de travail des femmes que Karethic a été créée. Si nous souhaitions juste créer une marque de cosmétiques, nous nous serions contentés d’acheter et de vendre du karité en le marketant comme un ingrédient naturel vendu à un prix deux fois plus bas sans aucune garantie sur la rémunération des productrice, ni sur le fait que ce karité n’est pas issu de zones contaminées par les pesticides. Karethic est souvent perçue comme une marque ’trop engagée’ par d’autres marques de beauté. Je pense qu’on n’est jamais trop engagé quand le climat se dérègle en raison de la surexploitation, la surproduction, la surconsommation et que cela impacte avant tout les populations les plus pauvres de la planète. Nous faisons notre part, et si nous pouvons le faire depuis plus de 10 ans, les marques qui font dix fois notre chiffre d’affaires n’ont aucune excuse.
Vous communiquez sur le salaire très bas des femmes productrices de karité en Afrique. Comment changer la donne à plus grande échelle, et sur long terme ?
Carole Tawema - Il n’y a pas de mystère, il faut faire connaitre la problématique et en parler le plus possible au grand public. Tout le monde peut comprendre que 62 euros par an ne suffisent pas pour vivre dignement, même en Afrique où la vie coûte beaucoup moins cher ! C’est pourtant le salaire moyen annuel d’une femme qui vit du karité. En tant que consommateur, on peut changer les choses. Chaque fois que c’est possible, privilégions des produits certifiés équitables et bio. Pas seulement pour mieux rémunérer les productrices et producteurs, mais également pour choisir des produits de meilleure qualité. C’est valable pour tout ingrédient, et encore plus pour le beurre de karité. En attendant que les médias en parlent, nous avons lancé un nouveau produit autour de l’arbre de karité en 2018, le miel de fleur de karité. Le but de ce miel est d’apporter un revenu supplémentaire aux productrices tout en motivant les hommes à préserver les arbres de karité dont les fleurs sont butinées par les abeilles, et à renoncer à l’usage des pesticides de synthèse.
Quels types de produits trouve-t-on chez Karethic ?
Carole Tawema - Nous avons commencé par la dermo-cosmétique avec des formules riches en karité brut, grand cru, pour sauver des peaux affectées qui ne supportaient pas les crèmes proposées en pharmacie et des textures qui vont de l’onguent contenant 70% de karité brut au sérum au miel de fleur de karité dont les propriétés ont été objectivées par le Centre d’Étude des Substances Naturelles du Grand Lyon, en passant par la crème de karité ou l’huile soyeuse enrichie en karité brut. Nous mettons du karité brut dans tous nos produits puisque nous en produisons et avons pour but de travailler avec toujours plus de productrices pour améliorer leurs revenus.
Il y a 700 femmes qui peuvent aujourd’hui scolariser leurs filles et nourrir leurs familles pendant la saison pluvieuse grâce au prix que nous leur garantissons, mais au Bénin elles sont 39.000 à attendre de vivre mieux grâce au karité.
Fin 2021, nous avons lancé l’offre dermo-capillaire responsable avec les premiers shampoings soins et après-shampoings sans rinçage au karité brut bio et équitable toujours dans une démarche zéro déchet, zéro gaspillage, zéro plastique. Si nous souhaitons avoir un impact large, il faut d’urgence limiter la quantité d’emballages plastique mais aussi d’ingrédients d’origine pétrochimique qui irritent le cuir chevelu, polluent l’air et se déversent dans les eaux.
Quels sont les principaux bienfaits du karité ?
Carole Tawema - À condition qu’il soit brut donc non raffiné, le karité est l’huile végétale la plus riche en principes actifs réparateurs. Il intéresse toutes les industries, cosmétiques et agroalimentaires, pour ses vitamines mais aussi parce qu’il résiste bien à la chaleur, et a un profil d’acide gras équilibré. Nous avons commencé à étudier les arômes du karité brut pour la cosmétique et la gastronomie fine avec l’aide d’un expert en analyse sensorielle et maître sommelier. C’est un travail de long terme qui ne portera ses fruits qu’à condition que les normes de qualité liées à une indication géographique pour le karité soient établies et reconnues par l’Union européenne. Pour la peau, il faut savoir que le karité a la même structure moléculaire que le sébum au même titre que l’huile de macadamia ou de jojoba. Il est bien sûr nourrissant, mais aussi cicatrisant, désinfectant, anti-inflammatoire. Il faut le faire fondre dans les mains avant de l’appliquer en massant ; ce qui permet d’activer la circulation micro sanguine. Il n’est pas comédogène à l’état brut, mais laisse un léger film sur la peau qui empêche l’évaporation de l’eau et maintient donc l’hydratation.
Vous avez récemment mis en ligne une pétition intitulée "Justice sociale et climatique pour les femmes du karité". Pouvez-vous nous en parler ?
Carole Tawema - Cette pétition a pour but d’informer et de mobiliser le grand public et les médias sur un sujet de justice sociale et climatique pour des femmes qui ont contribué au succès de nombreuses marques de beauté françaises. Elle a été lancée suite à une étude de la FAO qui démontrait que l’arbre de karité avait une empreinte carbone négative, c’est-à-dire qu’il capte plus de CO2 qu’il n’en rejette malgré le fait qu’il provienne du continent africain. L’étude précisait aussi le revenu moyen annuel d’une productrice de karité : 62 euros par an. Cela ne devrait laisser personne indifférent car le karité est présent dans de nombreux produits cosmétiques et est rarement garanti équitable. Tout se passe donc comme si cette pauvreté était acceptable alors qu’ajuster le revenu de ces femmes pour qu’elles puissent en vivre dignement n’aurait qu’un très faible impact sur le prix de vente final des produits, valoriserait l’arbre de karité et éviterait qu’ils ne soient coupés. Karethic reste un grain de sable dans l’industrie de la beauté. Le temps presse. Il faut qu’un maximum de personnes prennent conscience rapidement qu’il est grand temps de changer nos modes de vie et de choisir l’équitable, la justice sociale et environnementale à chaque fois que c’est possible.