Premium Beauty News - Qu’en est-il de la production des matières nobles pour la parfumerie ?
Rémi Pulvérail - Les activités agricoles se poursuivent dans la plupart des pays mais les commandes d’extraits naturels à destination de la parfumerie fine ont chuté d’un coup, ce qui va un peu plus fragiliser nombre de producteurs qui vont se retrouver avec leurs récoltes sur les bras… souvent dans des pays déjà structurellement en difficulté.
Les producteurs ont entamé une démarche pour demander de l’aide à leurs clients historiques, les maisons de parfums, c’est le cas notamment en Afrique où il n‘y a pas encore de vision claire de l’impact de la pandémie et où le manque de matériel sanitaire est cruel.
Premium Beauty News - Est-ce que cela peut mettre les filières en danger ?
Rémi Pulvérail - Il y a des tensions supplémentaires bien sûr, mais elles étaient déjà présentes avant la pandémie du fait du dérèglement climatique par exemple. Ce qu’attendent les producteurs de matières naturelles c’est un minimum de visibilité et des engagements contractuels de la part des acheteurs, ce qui est malheureusement très rarement le cas. Ceux-ci fonctionnent selon deux principes, à savoir limiter au minimum leur niveau de stock avec des commandes au coup par coup, et acheter le moins cher possible.
Or l’agriculture fonctionne sur des cycles longs et immuables avec des périodes de récolte à date fixe chaque année. Un investissement de départ est nécessaire pour lancer la culture, la première récolte après quelques années, la transformation du végétal en extrait, avant l’exportation et finalement plus tard le paiement. Dans les périodes comme celle que nous vivons, le déséquilibre ne fait que s’accentuer. L’exemple de la durée inédite de la crise de la vanille à Madagascar montre bien l’incapacité des maisons d’arômes et de parfums à restaurer un équilibre, malgré les nombreux projets de « sourcing éthique » mis en place.
Premium Beauty News - Que préconisez-vous ?
Rémi Pulvérail - Pour ces filières, qui restent des micro filières dans le panorama agricole mondial, la seule solution serait de mettre en place des politiques d’achat réellement responsables avec des engagements contractuels sur plusieurs années et une politique de préfinancement systématique. Cela a un coût bien sûr, mais qui reste significativement plus faible que le coût d’une crise majeure.
Il me semble aussi que les pays producteurs devraient mieux encadrer leurs filières locales à travers une action plus interventionniste, que ce soit sur les volumes produits ou les niveaux de prix. Aujourd’hui, le marché seul est incapable de réguler et d’assurer la pérennité des filières.
Premium Beauty News - Faut-il relocaliser pour s’assurer un approvisionnement ?
Rémi Pulvérail - Surtout pas. S’il n’y avait pas ces plantes à parfum dans certains pays ce serait la catastrophe. Par exemple, Haïti est devenu le premier producteur mondial d’essence de vétiver, c’est la deuxième ressource d’exportation de ce pays pour un produit à forte valeur ajoutée. Cette filière fait vivre des dizaines de milliers de familles de façon décente. Il en est de même pour la production d’essence d’Ylang-Ylang aux Comores.
Premium Beauty News - La chimie verte peut-elle être une solution d’avenir ?
Rémi Pulvérail - Certainement, qu’il s’agisse des technologies de bioconversion, biosynthèse, catalyses enzymatiques, il est aujourd’hui possible de remplacer bon nombre de molécules de synthèse issues d’une chimie ‘sale’ - il faut bien le dire - par les mêmes molécules en version naturelle. C’est le défi majeur. Nous avons en France de nouveaux acteurs à la pointe sur ces technologies d’avenir, respectueuses de l’environnement, comme la société AFYREN par exemple qui travaille sur la fermentation à partir de betterave à sucre française.